MOSCOW VII CONFERENCE ON INTERNATIONAL SECURITY (4-5 AVRIL 2018)



Par Irnerio Seminatore
Président Fondateur de l'INSTITUT EUROPÉEN DES RELATIONS INTERNATIONALES (IERI)

PRÉSENTATION GÉNÉRALE
La Conférence sur la Sécurité Internationale qui s'est tenue à Moscou les 4-5 Avril 2018, a comporté la participation de 850 représentants de 95 États, de 30 Ministres de la Défense et 14 Vice-ministres et Chefs d’État-Major Généraux des armées des pays invités, ainsi que de 5 responsables (OSCE, CIS, SCO, CSTO, ICRC) et hauts fonctionnaires (UN, Ligues des États Arabes) des plus importantes organisations internationales.
Une audience qualifiée de plus de 70 experts de 32 pays, dont les propos ont été repris par 700 journalistes, a mis en valeur des débats, animés par des décideurs de haut niveau, des observateurs indépendants, des directeurs de Think-Tanks et d'autres personnalités internationales.
Ella a été ouverte par une allocution de "bienvenue" du Président de la Fédération de Russie, Vladimir Poutine.
La conférence remplit une fonction d'information, de relais et de débat entre pays européens, asiatiques, du Proche et Moyen Orient, africains et latino-américains, qui y trouvent une tribune d'expression indépendante.
Compte tenu du contexte politique, de l'agenda des principales puissances et de l'imposant effort organisationnel consenti, il faut considérer ce Forum comme une assise concurrente de celle de Munich, d'expression euro-atlantique.
Elle s'impose à plusieurs égards, comme une référence pour les grands acteurs eurasiens et comme une caisse de résonance des préoccupations sécuritaires mondiales.
L'approche retenue fait ainsi état d'un mélange d'analyses politiques et stratégiques, venant de nombre d'acteurs étatiques et des perspectives d'évolution"réformistes" du système, affichées par beaucoup de ces représentants, à l'encontre du courant dominant des relations internationales.
La conférence a été présentée, d'entrée de jeu, comme un questionnement ouvert sur un contexte régional et global de sécurité, particulièrement tendu, interprété selon deux approches, traditionnelles (multipolaristes) et émergentes (polycentriques).
Ces deux lectures sont elles compatibles et conciliables entre elles?
La question mérite d'être posée, en raison des différentes implications des deux doctrines.
En effet, le "mutipolarisme" est l'expression d'un esprit de système, à forte connotation politique et stratégique, compétitif, conflictuel, hiérarchique, à intégration verticale et le "polycentrisme", la résultante d'une complexité, fondée sur l'interdépendance économique et sociétale, à fondement fonctionnel.
 
En filigrane l'approche polycentrique conforte l'ambition des puissances moyennes qui prétendent l'adopter pour façonner le système international à leur niveau (régional) et sur un plan paritaire, en sous-estimant les allégeances politiques et militaires aux grandes puissances, bref, en sous-évaluant les alliances et la force, décisives dans les moments-clé de résolution des crises.
Ainsi, en optant pour un choix de décision pari-thétique mais illusoire, cette approche conduit à une plus grande fragmentation internationale, à l'accroissement des incertitudes et des calculs, ainsi qu'à à un fausse équidistance entre les pôles, en compétition et en rivalité.
Le recours à la théorie du polycentrisme, fondée sur un nouveau modèle d'intégration, de matrice égalitariste, oublie les contraintes d'adaptation forcée de l'époque nucléaire et les défis et les menaces du cyberespace et semble ignorer que l’indépendance revendiquée est un objectif permanent des acteurs étatiques et jamais une donnée acquise pour toujours.
Il s'agit là d'une thèse qui a été brillamment défendue par le Ministre d’État de l'Arménie, mais contredite, en cours de conférence, par l'adhésion de la plupart des intervenants à la théorie réaliste et classique de la "multipolarité".
En venant à la deuxième perspective d'analyse de la conférence, celle de l'évolution du système international, cette analyse est partie d'un constat politique: la défaite des "révolutions de couleur", de l'ISIS, de Daesch, des oppositions "démocratiques"(islamistes) en Syrie, avec l'aggravante consécutive, que la défaite de Daesch correspond, selon des propos partagés, à la défaite des États-Unis et qu'elle est irrattrapable sur le terrain.
Ici les gagnants sont, à présent, Bachar al Hassad, l'Iran, la Turquie et la Russie, ce qui, ,du point de vue théorique et stratégique, replace les États au cœur de la politique mondiale et fait de l'ascendant de Moscou sur Washington un enjeu capital de la région.
Ainsi la leçon à tirer, en vue d'une réforme du système, est qu'au sein de la cohésion et de la solidarité des acteurs multipolaires il n'y a pas un espace significatif et influent pour le droit ou pour la communauté internationale représentée par les Nations Unies, puisque le système que nous connaissons est constitué par un monde sans légitimité, sans consensus et sans un axe central d'émission de normes et de régulation des conflits.
Or, la prise de conscience "de la radicalisation de la politique mondiale"(Steffan de Mistura), dont l’extrémisme islamique est une expression inquiétante, fait de la situation actuelle " un moment crucial"(S.Shoygu) dans la lutte contre le terrorisme et pour une nouvelle perspective de paix en Syrie et au Proche et Moyen Orient.
Du même avis, l'ancien président de l’Afghanistan, Hamid KarzaÏ, qui a rappelé l'escalade croissante de la violence talibane pendant 17ans, dans son pays, semblable à celle qui s'est déchaînée en Syrie et a exprimé la conviction que la Russie, la Chine, l'Iran et l'Inde, constituent des alliés de confiance pour la paix, en opposition aux USA, dépourvus de conscience historique.
Une autre manière pour souligner, d'après d'autres intervenants, qu'il n'y a pas aujourd'hui de consensus sur un ordre international viable, ni une architecture de sécurité crédible entre les différents acteurs et, en particulier, entre les États-Unis et la Russie, entre lesquels s'est installée une deuxième "guerre froide", beaucoup plus dangereuse de la première, car, si la première était codifiée, la deuxième est imprévisible.
En effet, à l'ambivalence et à la volonté de prépondérance de l'Amérique (élargissement de l'Otan à l'Est, jusqu'aux frontières de la Russie), s'ajoute l'absence politique de l'Europe et sa vassalisation vis à vis d' Hégémon.
Une des preuves de cette subordination est, selon l'Ambassadeur russe V.Chizov, accrédité auprès des institutions européennes, l'initiative de l'U.E. de promouvoir un "Schengen "militaire"(présenté par la Commission le 28 mars dernier), autrement dit, un programme de mobilité des hommes et des matériels au sein de l'Union, pour "masser des forces contre un ennemi éventuel, afin d'être dissuasifs".
Ainsi, les solidarités apparentes au sein des 27 et de l'Alliance atlantique ("affaire Skripal"), n'arrivent pas à cacher les différences réelles entre pays-membres, quant au nouvel ordre européen et à une différente approche de sécurité dans le contexte mondial.
Compte tenu du niveau de confrontation croissante, s'imposant sur la logique de la coopération et du dialogue souhaitables et considérant que l'interdépendance globale est corsetée à l'intérieur d'un espace informationnel unique et univoque, plusieurs intervenants  ont constaté que le vocabulaire et la sémantique de la communication médiatique ont été pervertis  dans le monde, en leur signification convenue et en leur philosophie.
Or, c'est à l'aide de cet ensemble d'outils, matériels et immatériels, "hard" et "soft",que le pouvoir occidental fonde son consensus et sa "bataille des esprits", par un camouflage de son héritage démocratique, se transformant en un régime de censure, qui cache le visage intransigeant de"l'imperium".
Dans ce contexte de dangers et de menaces d'un type nouveau, certains intervenants d’Amérique centrale et d'Afrique se sont faits les portes-parole d'une dénonciation de l'atteinte portée à leurs systèmes  politiques et de la précarité de leur assise démocratique, face à l'offensive déstabilisante d'Hégémon.

LA PAIX PAR LA LOI ?

Leur plaidoirie en faveur du rôle protecteur du droit et de la fonction tutélaire des Nations Unies, ne pouvait  être que la voix (faible ) de l'utopie, comme"vertu positive", selon les mots de R. Aron dans les derniers chapitres de" Paix et Guerre entre les Nations" (1962).
En effet, dit ce dernier, ils n'existent que deux issues pour aller au delà de la politique de puissance: la Paix par la loi (Ch XXIII) et la Paix par l'Empire (ChXXIV), et, quant à la "paix par la loi", il ne put évoquer, à l'âge balistico-nucléaire, que l'imperfection essentielle du droit international, en posant une interrogation de fond, qui reste d'actualité, sur son progrès ou son déclin.
En effet dans un système nucléaire et multipolaire, l'objectif, pour chacun des joueurs est d'éviter l'escalade, sans perdre pour autant des parties du jeu, dans des théâtres régionaux, où les enjeux vitaux ne sont pas engagés et de faire en sorte que ses objectifs ne soient pas inacceptables pour l'adversaire, car une telle partie est essentiellement psychologique et diplomatique et que chaque action modifie les données du jeu initial.
Puisque la contrainte de la force et la menace de son usage sont inséparables de toute politique et de toute morale et qu'elles se situent au delà de la garantie du droit, d'autres intervenants ont essayé de résoudre l'équation entre consensus, légitimité et crise par la soumission des conflits à la Communauté internationale et autour de la Charte des Nations Unies, ignorant les "limites" historiques de cette institution, à partir de sa genèse, la "Société des Nations" et la subordination du concept de "neutralité" au principe ancestral de la "loi du plus fort".
Ainsi et en conclusion,dans l'absence de consensus et de dialogue entre l'Est et l'Ouest, la question essentielle et sans réponse, ainsi que toute autre question actuelle, demeure celle de savoir comment faire face aux provocations et aux prétextes de conflits (affaire Skripal, ou armes chimiques en Syrie), sans reléguer la réponse à la philosophie du droit ou aux présomptions politiques sans preuves.
Et, deuxièmement, comment éviter la rhétorique diplomatique, car, en cas d'échec de l'Occident, son rôle serait remis en cause en Eurasie et en cas de retrait de la Russie, celle-ci traverserait, dans le monde de demain, une longue solitude géopolitique, après un siècle de voyage vers l'Ouest (Vladislov Surkov).

Bruxelles, le 15 avril 2018

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