MULTIPOLARITÉ ET DISSUASION - PEUT-ON LIMITER UN CONFLIT NUCLÉAIRE ?


MOSCOU, MCIS VII 4-5 AVRIL 2018 
Par Irnerio Seminatore
Président Fondateur de l'INSTITUT EUROPÉEN DES RELATIONS INTERNATIONALES (IERI)


Ce texte a été présenté à la VIIème Conférence Internationale sur la Sécurité de Moscou (MCIS) des 4-5 avril 2018, comme synthèse d'un document plus approfondi, publié ici : https://editionsbios.blogspot.com/2018/07/moscow-vii-conference-on-international.html



INTRODUCTION
Le système international de la multipolarité résulte d'une série d'évolutions majeures de la conjoncture historique.
Quant aux stratégies des acteurs majeurs de la scène planétaire, celles-ci se caractérisent par :
ESCALADE ET PRÉVENTION
Par ailleurs, le principe de l'escalade, dans un affrontement entre puissances nucléaires, demeure le danger le plus redoutable parmi les dangers militaires extérieures.
Il se signale par :
- l'épuisement de la stabilité stratégique (de 1991 à 2001), après l'effondrement de la bipolarité.
- le modelage d'une nouvelle géopolitique eurasienne (de 2001 à 2011), favorisant la transition vers une configuration multipolaire du monde.
- l'apparition d'une forte hybridation de menaces et de vulnérabilités, étatiques et sub-étatiques (à partir de 2011), comportant une dérive vers une escalade nucléaire potentielle.

Du point de vue global, les menaces les plus déstabilisantes se configurent désormais comme menaces systémiques.

ADAPTATIONS STRUCTURELLES ET STRATÉGIES
- la centralité de la dissuasion nucléaire (préservation par les USA de la supériorité du conventionnel sur le nucléaire, et de la supériorité du feu nucléaire sur le conventionnel par la Russie).
- la diversification des fonctions de coercition par le triangle des puissances de premier plan, les États-Unis, la Russie et la Chine, sur les enjeux régionaux et mondiaux, ce qui est source d'instabilité pour chaque sous-système régional (Asie du Sud-Est, Proche-Moyen Orient et Golfe, Europe Orientale et Sud-Orientale).
- l'extension des rivalités et des antagonismes à tous les pôles et à tous les acteurs du système,qui sont à l'origine de conflits régionaux limités.
Dans ces cas, comment concilier des guerres limitées et une escalade nucléaire de coercition, venant des puissances dominantes, compte tenu du fait que la recherche de suprématie dans l'escalade peut surgir d'une guerre conventionnelle et locale. 
Le débat reprend aujourd'hui, en pleine dégradation du climat international, autour de la pertinence du concept de « dissuasion », de la notion de conflit limité, d'escalade et de survie, qui ont été au cœur de la « guerre froide ».
L'évolution de l'environnement stratégique et l'aggravation des dangers et des risques inter-étatiques constituent les menaces sécuritaires prioritaires pour l'Occident.
Or, si la dissuasion reste l'élément-clé de la stabilité du monde, la permanence des menaces étatiques justifie son maintien et sa crédibilité en Europe de l'Ouest.
En Asie, la conjoncture internationale souligne l'aspect compétitif de la course aux armements, où la prolifération nucléaire est une réaction à la perception d'insécurité globale.
A ce sujet s'impose une dissociation au sein du concept de dissuasion entre « nucléaire stratégique » entendu comme prévention du conflit et « nucléaire tactique », conçu comme mode d'emploi, pour l'emporter militairement et politiquement, dans une guerre conventionnelle.
Cependant, les menaces déterminantes sont aujourd'hui liées au terrorisme sub-étatique et aux forces extrémistes et irrégulières.
Si la fonction de la dissuasion est de préserver un pays nucléaire des pressions et chantages balistiques et nucléaires, son revers est d'assurer la liberté d'action conventionnelle à ce même pays. C'est tout le sens de l'indépendance et de la souveraineté nationales.
Au delà de cette hypothèse, le terrorisme transnational s'étend également à la sécurité intérieure, sans protéger le pays visé d'autres menaces, cybermassives de nature asymétrique.
Dans le cas évoqué l'emploi du nucléaire dans une « guerre limitée » représente une rupture du tabou de la stratégie de prévention. Cette rupture ferait alors intervenir plusieurs acteurs multipolaires, compte tenu de la pluralité des puissances concernées par l'issue d'un conflit général.
Le pluralisme stratégique, conventionnel et nucléaire, interdit, dans ce cas, une modélisation rationnelle de l'échange nucléaire et fait de l'incertitude plus radicale, la maîtresse inconditionnelle du conflit, dans l'établissement d'une relation rigoureuse entre multipolarité et dissuasion.
La seule question qui demeure, est à la fois paradoxale et limpide et se décline ainsi : « Peut-on limiter un conflit nucléaire ? »

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